La fin d'un voyage, le début d'une histoire

Impossible à croire. Ira regardait, bouche bée, complètement décontenancée, le corps sans vie du jeune magicien malchanceux... Elle était tombée dessus d'un coup, suivant les dires du marchand, et le voyait qui gisait misérablement, le visage déformé par un rictus immonde, le teint laiteux contrastant avec le rouge sale qui maculait sa gorge. La jeune femme eut un mouvement de recul, sa mine se vêtant de désespoir face à la triste réalité. C'était incroyable, mais vrai... Aussi incroyable que l'avait été chacun de ses face-à-face avec la Mort, mais toujours aussi inévitablement réel. Elle jeta un très bref coup d'oeil à Taern, au marchand, à Kirian qui revenait de ses rapines, un peu comme pour s'assurer qu'eux étaient encore de ce monde avant d'en revenir au cadavre du malheureux.
Durant dix bonnes secondes, elle ne bougea ni ne dit mot. Alors, la roublarde meurtrie lâcha une petite phrase, au sens apparemment connu d'elle seule, que la boule qui lui serrait la gorge l'empêcha d'articuler correctement.

- J'uis... J'uis ai filé des noix j'ste avant...

Dans l'instant qui suivit, les barrages cédèrent, et c'est dans un flot de larmes qu'elle s'agenouilla... ou plutôt se jeta sur la dépouille, empoigna ses vêtements, et commença de la secouer en criant, sous les yeux ébahis de ses autres compagnons...
La douleur et la folie semblaient s'être emparées de la jeune Ira, qui, dans un spectacle effrayant, s'était mise à frapper le corps comme une furie... Comme si elle tentait de passer la Mort elle-même à tabac...

Kirian resta stupéfait devant la scène, il devinait la tristesse de la jeune femme l'ayant lui-même connu quelques années auparavant mais ne pouvait bouger.

La jeune femme offrait un triste spectacle aux trois hommes encore debout, le barde jeta un coup d'oeil aux deux autres le marchand ne savait pas où se mettre ne sachant pas quoi faire, vu qu'il ne la connaissait pas, Taern lui resta silencieux, en recueillement.

Le barde se sentait seul à être concerné par l'attitude de la jeune femme, au delà de la mort de son compagnon d'un jour, il voyait Ira partir vers une voie dangereuse, une voie que Kirian aurait voulu éviter si il l'avait pû, mais qu'il préférait éviter à tous ceux qu'il pouvait rencontrer.

Le spectacle désolant de la jeune femme continuait à s'éterniser devant ses yeux sans que quiconque réagisse, Kirian décida de s'accroupir auprès de la jeune femme en pleurs qui martelait le corps du pauvre Rincevent et lui posa la main sur l'épaule, il sentit le corps de la jeune femme crispé et sur la défensive, d'une voix calme il tenta de l'apaiser.

- Tu devrais arrêter maintenant, ce que la mort touche ici-bas rien ne peut le ramener, même le plus chatoyant des feux ne peux raviver la flamme de l'âme disparue.

Le barde resta silencieux atendant de voir l'effet de sa phrase sur le moral de la jeune femme, elle était un peu maladroite et un peu sèche mais il l'accompagna d'un sourire ainsi que d'un petit rayon de soleil qui perçait au-dessus de sa tête.

La demoiselle, à présent, ne donnait plus que de mous et faibles coups dans les chairs inanimées de Rincevent, en gémissant... La rage était passée et ne restait que la douleur. C'était le deuxième à mourir dans son entourage depuis hier... Le nième depuis un jour plus funeste encore...
Kirian vint alors, empli de bonnes intentions, de volontés réconfortantes... Mais la phrase résonna dans un néant de signification. Le sourire ne paraissait pas réel. A force, les vivants ne paraissaient plus réels. Rien ne l'était plus... Rien...
En sanglots, l'air absent, elle se coucha doucement au côté du cadavre. D'abord sur le flanc, puis sur le dos, ses yeux se noyant en silence...

- Dis...

Fit-elle, brisant, accompagnée par le chant des oiseaux gais et indifférents, le pesant silence des hommes chamboulés.

- Kirian... Dis... Tu penses qu'il ira chez qui?

Elle regardait le ciel... Un nuage solitaire... ce qu'elle voyait de lui au travers de sa vue troublée de larmes... Puis ferma les yeux.

Le barde fixa Ira qui s'allongeait auprès du défunt Ricevent fixant le ciel, s'éloignant du monde réel petit à petit, sa question hésitante posait problème au barde : il n'avait jamais réfléchi à l'endroit où l'on se rendait après la mort et n'avait pas enve de le savoir avant la fin.

Il continua à regarder la jeune femme allongée, sanglotante, fermant les yeux puis tenta de lui répondre.

- Il est pareil que le vent maintenant, il se lève quand il e as envie, il s'agite à un endroit se calme à un autre. Il parcoure libremment le monde, visitant chaque recoin de toutes choses...
En fait je penses qu'il est parti pour une longue ballade dont il fixe toutes les règles et peut-être qu'à un moment, il se posera à un endroit en particulier et à ce moment là, son âme sera en paix.

Qu'importe la destination, c'est le voyage qui compte avant tout.

Cette dernière phrase résonnait dans la tête du barde car elle était un peu la maxime qui le maintenait encore en vie ici-bas : déchiré par la vie il n'avait plus que pour but de voyager à jamais jusqu'à ce que lui aussi est l'âme en paix.

- Il me semble que le nore doit continuer et le sien prend une autre direction, c'est ce que je conçoit comme le carrefour des destinées...

Taern, visiblement abattu lui aussi, tomba à genoux aux pieds du corps de Rincevent. Ses yeux étaient emplis de larmes, et ses mains tremblotaient.

- Par Chauntéa... Pourquoi j'vous ai emmenés là d'dans ? C'est... C'est mon problème, c'est ma Shemilla que j'cherche, et maintenant, par ma faute Rincevent est mort !

Sanglotant et criant plus fort encore que d'habitude, rien ne semblait pouvoir le consoler.

- J'espère seulement qu'il pourra rejoindre Celui, ou Celle qu'il vénérait ! On n'sait même pas qui sait, pour lui faire une prière digne...

Le marchand regardait la scène d'un oeil compatissant, mais bien plus pragmatique.

- Je suis plutôt de l'avis d'monsieur Kirian moi, notre ch'min doit continuer... J'veux dire par là qu'il vaut mieux pas traîner ici. La mort vient déjà de m'épargner, j'ai pas trop envie d'aller la revoir en face, même pour lui dire merci vous voyez.

Il avait une voix des plus graves et profonde, et s'exprimait avec calme, et une certaine autorité. Apparemment, ce marchand en avait vu d'autres, il ne devait d'ailleurs pas être bien loin de prendre une bonne retraite : le genre qui n'est pas prêt à prendre de risques inconsidérés. En outre, il en imposait par sa carrure et son embonpoint.
Déjà, il marchait vers son chariot, pour ranger son arbalète derrière le siège. Il vérifia si toute la marchandise était bien en place, resserra quelques sangles...