En avant pour les Marches !

Descendant du chariot, Gavin vérifia bien qu'il avait tout son équipement sur lui. Il déposa son lourd sac à dos sur l'âne, gardant sur lui uniquement sa gourde, sa sacoche à composantes et sa lame courte, toutes attachées à sa ceinture, ainsi que son instrument, placé en bandouillère.

De là, il regarda un peu dans toutes les directions. Au nord-ouest, la colline leur cachait désormais la vue sur Velprintalar. Au sud, un fleuve suivait son cours dans une vallée, mais il ne voyait guère que des collines sur lesquelles se juchaient quelques arbres ; en tout cas, rien que l'on ne puisse qualifier de "Bois"...



"Eh bien, je suis prêt... Comment est la route, par la suite ?" demanda-t-il à Hiartus.

"En fait, si vous aviez une carte, j'aimerai bien voir le chemin qu'il nous reste à parcourir... ça m'a l'air encore assez loin..."

- Une carte ? s'esclaffa t-il. "Pas besoin de ça pour un baroudeur comme moi, je connais la route et je pourrais la faire les yeux fermés ! Enfin par les temps qui courent, mieux vaut toujours garder un oeil ouvert, même en dormant mon garçon..."

Il avançait toujours de sa démarche bancale, mais rapide, et Gavin avait un peu de mal à suivre le rythme. On sentait bien que Hiartus avait des années de marche derrière lui, le genre d'homme qui malgré l'usure du temps, avancent sans s'arrêter sur des lieues et des lieues, ne prenant qu'un petit temps de repos pour manger.

"D'main matin, on d'vrait normal'ment voir la lisière du Yuir, ses arbres sont hauts et il se voit de loin. Quand on y entrera, on aura fait la moitié du chemin, et c'est là qu'il faudra être le plus prudent... La route est presque comme maintenant jusqu'à la lisière, après, ça se détériore un peu, faut dire qu'y'a pas grand monde pour s'en occuper. On va laisser Balthazar en dehors de la forêt, dit-il en tapotant le dos de l'âne, il attir'rait les bêtes sauvages, et les elfes nous repèrerons rien qu'à l'odeur !"

"T'es déjà allé dans le Bois, toi ? t'es d'la région ?"

Resté jusqu'alors plutôt silencieux, Gavin devint affable lorsque Hiartus se mit à l'interroger sur ses origines. Il marquait souvent de courtes pauses afin de reprendre son souffle... Contrairement à Hiartus qui avait le profil typique du vieux baroudeur, quelques semaines de traversée en bateau lui avait fait perdre l'habitude des longs trajets...

« Non, du tout. Je viens de lointaines contrées, bien à l'ouest des rives occidentales de la Mer des Etoiles Déchues... Du Téthyr, pour être plus précis. Mais je suis né à Eauprofonde, bien que je n'y ai jamais vécu.

Cela dit, j'ai déjà eu l'occasion d'évoluer en forêt ! Chez nous, on trouve aussi de nombreuses forêts, dont la plus étendue, le Bois du Téthyr, abrite tant des elfes des bois que des créatures beaucoup plus sauvages ! J'ai déjà eu l'occasion de la visiter, lorsque...

Enfin, peu importe », acheva-t-il, quelque peu gêné.

« Et ces elfes-là, ils sont vraiment si dangereux que ce qu'on entend dire dans les rues de Velprintalar ? »

Hiartus écoutait le jeune homme avec une pointe d'amusement, mais il ne dit pas pourquoi, préférant répondre à sa question.

- Disons que c'est pas la grande entente entre les humains et les oreilles pointues... Enfin j'dis elfes, mais en fait la plupart sont des rejetons des elfes de Yuir et des colons humains qui ont investi la forêt, y'a bien longtemps de cela. Avec la plupart ça s'passe plutôt bien, on peut commercer un peu, et ils ne tirent pas sur tout ce qui entre dans leur bois, mais...

Il fit une pause après le "mais", se raclant délicatement la gorge avant de reprendre, sur un ton plus bas, comme une confidence :

"Certains, qu'on appelle les Verts, veulent pas de cette entente et préfèreraient laver l'honneur de leurs ancêtres en reprenant le Bois, pour le séparer du Royaume... Avec eux, mieux vaut garder un oeil toujours, oui toujours ouvert, mon gars. Ils attaquent par surprise, tu t'retrouves crépi de flèches avant de comprendre ce qui t'arrive."

A son ton, Gavin pouvait comprendre que Gavin ne parlait pas à la légère, et qu'il n'essayait pas seulement de lui faire peur...

Gavin acquiesça d'un signe de tête.

« Oui, effectivement, Dame Miara m'avait déjà parlé des Verts et de leurs antagonistes humains, lorsque je suis allé la voir pour demander son aide. Mais je pensais jusqu'ici qu'il ne s'agissait que de simples agitateurs et de luttes de pouvoir au sein de la noblesse de Velprintalar, pas de malandrins qui s'en prendraient à tous les voyageurs qui pénètreraient au sein du Yuir ! »

Il marqua une pause et soupira... puis reprit, en parlant désormais plus pour lui-même qu'à l'attention de Hiartus.

« Enfin, c'est peut-être parce que c'est toujours comme ça que ça se passe, dans les légendes et les contes... On parle beaucoup de hauts faits, d'intrigues et de machinations, mais pas vraiment des massacres, du brigandage et de tous les aspects moins reluisants de la réalité... »


« L'influence de la Simbule s'arrête-t-elle donc à l'orée du Yuir ? » demanda-t-il alors à Hiartus. « Enfin... N'hésitez pas à me dire si je vous agace, avec toutes mes questions... »

[Désolé pour ce gros gros retard.]

- Tu peux m'en poser autant qu'tu veux, c'est pas parc'que je voyage souvent seul que j'aime pas discuter, hé !

Comme quoi, Hiartus n'était pas si associable qu'il paraissait.

- La Simbule... Non, l'Aglarond est toujours un seul royaume, et c'est toujours elle la chef ! Mais c'te sorcière ne peut pas agir sur tout ce qui s'passe dans le Yuir, et de plus en plus d'elfes ne veulent plus qu'une humaine règne sur "leur" forêt... Et même si ça a pas l'air de l'inquiéter, je pense que ça risque de dev'nir très risqué pour elle.

" Comme tu dis, jusque là y sont pas très organisés, mais y sont beaucoup, et s'ils se rassemblent, alors là ça va chauffer, tu peux m'croire. Et je suis d'avis que c'est c'qui est en train de s'passer. "

La route qu'ils suivaient arrivait au sommet d'un col, d'où ils pouvaient voir le fleuve magnifique qui serpentait entre les collines. L'Aglarond était vraiment une belle région. Loin au sud, Gavin aperçut enfin une masse sombre et impressionnante, aux reliefs torturés et à la végétation sans doute luxuriante : les frondaisons du bois de Yuir. Du haut de ce col, ils avaient une vue formidable, autant sur le bois lointain, que sur les campagnes environnantes, le fleuve, et la mer. Ils pouvaient de nouveau voir la grande Velprintalar, qui semblait posée tant sur la terre que sur les flots.

Hiartus regarda son compagnon de route, un sourire à peine visible sous sa barbe fournie. Un soupçon de malice illuminait ses yeux.

- Ca ne te fait pas trop peur, toutes ces histoires, au moins ? J'imagine que si tu entreprends ce voyage, c'est que tu t'y es préparé !