Horizons incertains

Le voyage de Rohrbag avait duré plus d'un an, depuis qu'il avait décidé de quitter l'Epine Dorsale du Monde où ses cousins ogres de sang pur l'avaient formé au combat. Et finalement, il était arrivé à Purskul, alors que le soleil se levait et illuminait la cité inconnue.

Un demi-ogre passant difficilement inaperçu, il avait préféré se déplacer à l'ombre des ruelles les moins fréquentées, n'affichant aucune intention particulière. Se découvrir petit à petit, progresser dans l'inconnu à pas lents et ne pas attirer l'attention de la garde... Le géant profitait des effluves de la civilisation dont il était resté à l'écart trop longtemps.

Il est difficile de faire ses premiers pas, mais Rohrbag sut s'en tirer avec honneur. L'exaltation accompagnant la découverte de nouveaux horizons fut plus forte que l'ennui ou le découragement face à tant de nouveauté, et la matinée s'écoula sans encombres jusqu'à midi où il lui vint l'envie d'un luxe simple : celui de dormir enfin dans un vrai lit la nuit à venir, et de manger à sa faim, après tant de temps perdu...

Se mettant en quête d'une auberge de qualité, le barbare se rendit compte qu'il avait tout de même fini par se perdre, et décida non sans hésitation d'aborder un passant, choisissant un garde demi-orque, à l'esprit sans doute plus ouvert à son égard que celui d'un humain, pour adresser sa requête. Il prit la parole d'une voix grave et posée, aux accents étrangers, durs, de nordique :

"Salut, garde, je suis nouveau dans... Purskul."

Il marqua un temps pour laisser à son interlocuteur un peu de temps afin de s'habituer à sa présence.

"J'ai perdu mon chemin, et je suis crevé. Alors est-ce que tu connaîtrais une auberge où je pourrais passer la nuit ?"

Il hésitait sur la façon de tourner cette phrase, son commun brutal et son apparence jouant en sa défaveur, Rohrbag espérait bien que le sang-mêlé qui lui faisait face n'alerterait pas ses collègues pour lui donner la chasse... Enfin, après tout, peut-être marquait-il un bon point en s'annonçant officiellement, du moment qu'il restait sur ses gardes et qu'il n'affichait aucune mauvaise intention...

Le demi-orque semblait assez intimidé par la présence de Rohrbag pour ne pas comettre l'erreur d'avertir d'autres miliciens. Apparament, le fait que le demi-géant soit capable de lui fracasser le crâne d'un seul coup de poing semblait avoir un effet très dissuasif, tout comme le lourd gourdin qu'il portait.

C'est pourquoi le garde bégaya dans un commun marqué par les accents guturals de la langue orque :

"Ou... Ouais, mon gars... Tu.. tu as une auberge à deux rues d'là, sur ta gauche... Mais... J'sais pas si tu rentreras comme ça. Le patron il aime pas c'qui est pas trop comme lui, et en en plus t'es un peu grand pour tenir là-dedans..."

Il recula, un peu déstabilisé, et lui désigna une rue attenante à une cinquantaine de mètres de là...

Le garde se montrant coopératif, Rohrbag le remercia d'un signe de tête, et sans poser d'autres questions, il se dirigea, à la vue de tous les passants, vers l'auberge. Un bruit accueillant s'échappait par les fenêtres, mais pour le demi-ogre, cette entrée en matière restait un épreuve. Il serait sans doute mal accueilli, et il s'y attendait, alors il faudrait savoir retourner la situation en sa faveur, trouver comment plaire et faire taire les préjugés.

Faire face à la porte de l'établissement lui fit l'impression d'un message supplémentaire au cas où il n'aurait pas compris, exprimant clairement que le lieu était fait pour les humains et les autres races qu'ils côtoyaient.

Un très léger grognement lui échappa, façon de se dire à lui-même d'aller de l'avant et de ne pas abandonner si tôt dans son entreprise, rien que par la faute d'une porte un peu basse.
Posant sa main sur la poignée, il poussa la porte et les bruits qui l'incitaient précédemment à rentrer lui parvinrent comme des imprécations féroces contre un nouveau venu qui ne serait pas attendu.

Lentement, d'un pas posé, sans à-coups ni assurance exprimée grossièrement, le géant pénétra dans la salle, plié en deux, puis faisant comme s'il ne remarquait pas les quelques regards déjà posés dans son dos, il referma la porte et, se dressant de presque toute sa taille, autant que le plafond pouvait le lui permettre, le barbare avança lentement vers le comptoir...

Arrivé à destination, il lança simplement, attendant de pouvoir juger de la réaction de son interlocuteur :

"Salut, aubergiste..."

Observant celui-ci et son entourage direct, le demi-ogre respira les effluves de nourriture et de boisson pour se détendre, espérant que les vigiles ne seraient pas appelés de suite pour le traîner dehors...

L'animation qui régnait dans la salle s'estompa assez vite à la vue de la silouhette massive qui venait de faire son entrée. Les réactions étaient très voisines de celles que Rohrbag rencontrait habituellement. Une partie de l'assemblée lui lança un regard méprisant, d'autres lui jetèrent un bref coup d'oeil avant de retourner à leurs préoccupations, et certains pour finir l'ignoraient royalement.

L'aubergiste, quant à lui, ne semblait pas spécialement réjoui de voir ce nouvel arrivant. L'appréhension se lisait sur son visage, mais il ne fit pas appel à quelque vigile que ce soit.

Il se contenta de gromeler dans sa barbe un "C'est pour quoi ?" prononcé hâtivement, tout en continuant de servir d'autres clients.

L'aubergiste ne manifestait aucune gaieté à l'approche de Rohrbag, mais le barbare fut rassuré en voyant qu'on ne le jetait pas dehors. Posant l'une de ses mains sur le zinc, il fit tinter sa bourse de l'autre et dit d'une voix où ne perçait presque aucun trouble :

"J'ai de l'or, j'ai faim et je suis fatigué."

Puis il s'accouda au comptoir, bien que la position ne fut guère confortable pour un être de sa taille, et il tenta d'estimer quel type de clients fréquentaient cet établissement. Il réalisa qu'il n'avait même pas regardé l'enseigne en entrant dans l'auberge.

Le demi-ogre n'avait pas l'intention de se faire jeter dehors et ce n'était pas en restant ainsi immobile à attendre le bon vouloir de l'aubergiste que les choses allaient avancer. Il décida de s'imposer, d'engager l'homme barbu qui lui faisait face sur un terrain plus sûr pour son avenir dans la ville. Il ajouta, pour celui-ci comme pour tout autre client a proximité :

"Et il se pourrait aussi que je cherche du travail."

Puis, faisant à nouveau face au tenancier, il reprit sur un ton engageant :

"Enfin, chaque chose en son temps, pas vrai ? Il sourit. Mon nom est Rohrbag, et je suis nouveau dans le coin."

Peut-être allait-il un peu vite, mais s'il pouvait gagner l'estime d'un homme qui importait un peu par ses manières directes, il y gagnerait sans doute beaucoup.

Le problème, c'est que même en s'accoudant ainsi au comptoir, Rohrbag était suffisament haut pour que l'homme soit contraint de lever les yeux pour le regarder en face. En un sens, cela ne devait pas rassurer l'homme, car du coup il se contentait de baisser le regard, et lorsqu'il parlait, c'était d'un ton bourru assez peu assuré.

Cependant, il se détendit un peu, lorsque, à sa grande surprise, le demi-ogre employa un ton avenant et montra une présence d'esprit inattendue, et commença même à se permettre quelques plaisanteries.

"Bah ça... J't'avais jamais trop vu dans le coin, ça c'est sûr...

Et qu'est-ce qu'il voudra à manger, Rohrbag ? J'imagine qu'il doit en falloir, de la soupe, pour atteindre ta taille !

Bah pour le travail... A moins qu'ça t'intéresse de faire la vaisselle, j'vois pas trop quoi te proposer. Déjà, pour la nuit, à part la grange, je sais pas où j'vais pouvoir te caser."

S'adressant de nouveau à l'aubergiste, Rohrbag donna une petit tape sur le comptoir.

"Bien, vous n'aurez qu'à me servir quelque chose de simple, tant que c'est chaud et comestible. Pour ce qui est de la nuit, on verra bien d'ici-là, mais je ne demande qu'un abri, pas une chambre royale."

Esquissant un semblant de sourire, il se redressa et avisa la cheminée de pierre.

"Je vais m'installer sur ce tas de cailloux, dit-il en indiquant l'âtre éteint du menton, combien est-ce que je vous dois ?"

Puis, il ajouta en chuchotant d'un air complice :

"N'oubliez pas que quelqu'un comme moi mange un peu plus que la moyenne."

Gloussant, le grand barbare se dirigea vers la cheminée afin de s'installer en attendant d'être servi, et aussi de remettre ses idées en place tout en prêtant une oreille distraite aux conversations qui allaient bon train dans la salle...

Alizée écouta d'une oreille distrète le monstre commander nourriture et toit. Elle imagina que vu sa carrure il devait engloutir une vache par jour au moins, à défaut d'une petite humaine comme ses cousins sauvages... La guerrière dévora sa viande, finalement elle était peut-être aussi vorace que le demi-ogre. La jeune femme jeta une oeillade complice à Selrian :

"J'espère qu'il ne fait pas partit de la garde de la caravane lui aussi..."

Elle bu une nouvelle gorgée de bière, repensant à la manière dont elle allait agir dans l'après midi. Elle pouvait faire preuve de discrétion mais si elle était découverte ça serait action garatie, et si les gardes étaient tous armés jusqu'aux dents comme Erébus cela promettait d'être rapidement très difficile, surtout que Selrian ne semblait pas très versé dans ce qui tenait à l'art de la guerre ! Vu le floue qui régnait autour de cette caravane Alizée s'imagina des dizaines de scénarios si elle finissait capturée et aucun n'étaient très réjouissants... En fait il lui faudrait une base arrière, Erebus fermerait sûrement les yeux si il la voyait, mais son "ami" coupeur de gorge... Ou pourrait-elle trouver des alliés ? Selrian semblait connaître beaucoup de monde ici, alors peut-être que...

"Dis moi, cher moine, connais-tu des personnes qui pourraient nous aider pour ce soir ? Des personnes sûres de préférence qui... savent se battre au cas ou."

Rohrbag prit place, et l'aubergiste lui fit mener assez vite une bonne assiette de ragôut de lapin. Enfin, l'assiette aurait pu paraître imposante pour un humain, mais pour un demi-ogre, ce n'était pas le cas. Enfin, il avait déjà été accepté ici, Rohrbag ne pouvait donc pas en vouloir à l'aubergiste de n'avoir pas su estimer la quantité de nourriture qu'il lui fallait. Et puis... Au besoin, il pourrait encore en reprendre. Le tout dépendrait de la vitesse à laquelle sa bourse risquait de s'alléger.


Selrian ne semblait pas vraiment rassuré par la présence du demi-ogre. Il lui lançait parfois de brefs coups d'oeils inquiets, mais qui diminuèrent en voyant que le gras bonhomme qui dirigeait la caravane, et qui était comme la veille toujours en train d'hurler ses ordres à travers la pièce, ignorait jusqu'à présent royalement le demi-ogre...

"Hum, je ne crois pas... De toute façon il y a un moyen très simple de vérifier."

Il s'approcha alors de l'aubergiste et eut avec lui une brève conversation à voix basse, avant de revenir vers la jeune femme.

"Pas à sa connaissance... Le demi-ogre est arrivé il y a même pas dix minutes, et il n'était pas avec la caravane hier soir.

Enfin, bref, si vous désirez la filer, il est vrai qu'un coup de main serait utile... Mais si on veut être le plus discret possible, il vaut mieux diminuer le nombre, non ?"

*Ca je m'en doutais qu'il ne faisait pas partit de la caravane, c'était une blague mon cher Selrian...*

Alizée eut un petit sourire lorsque son ami l'avait prise au mot. Elle baissa la tête un instant et la releva, une de ses mèches roula sur son front, une fois n'était pas coutume. Au moins le sélunite était une vraie mine d'information ambulante, elle était presque sûre que si elle demandait la couleur des sous-vêtement du chef caravanier il aurait la réponse...

"Oui il est vrai que moins nous serons mieux ça sera. Mais à moins que tu es des talents innés d'infiltrateur c'est risqué. Si jamais on se fait prendre je ne sais pas ce qui adviendra de nous, même si je suis prête à me battre bec et ongles. En fait je voulais garder quelques personnes à l'arrière, qui n'interviendrait qu'en cas de grabuge, ils pourraient ainsi faire une diversion ou nous libérer, tu comprends ?"

C'était un rudiment de tactique que lui avait enseigné son père. A chaque fois que c'était possible il valait mieux préparer le terrain, avoir un plan de secours, surtout quand on ne savait pas vraiment à quoi s'attendre... Au pire elle ferait sans, mais stratégiquement parlant c'était prendre le risque de tomber sans pouvoir se relever.

"Alors il nous faudrait une personne qui en vaille plusieurs, capable de détourner l'attention facilement, tu vois ce que je veux dire ?"

[Rohrbag paie son repas 4 pa.]

Rohrbag mâchait conscieusement son ragoût, avec lenteur, perdu dans ses pensées...

Après plus d'une année d'errances, voilà qu'il trouvait un endroit où il parvenait à se faire accepter. Mais le changement de vie restait brutal, il lui faudrait rencontrer des gens, se faire des contacts pour que sa tête n'attire pas les soupçons. Il soupira... beaucoup restait encore à faire. Mais peut-être que cet aubergiste avenant saurait lui indiquer par où commencer.

Le demi-ogre craignait à tout moment qu'un client vienne chercher des ennuis, mais il semblait que son numéro précédent ait fait passer l'envie aux quelques teigneux habituels peuplant ce type d'établissement. Il finit son repas en nettoyant méticuleusement son assiette, puis il se leva et manqua se cogner la tête aux poutres du plafond.

Rohrbag rendit son couvertet s'adressa à nouveau à l'aubergiste :

"Dites-moi, l'ami... vous êtes quelqu'un qui se tient au courant de beaucoup de choses, non ? Quel type de travail quelqu'un comme moi pourrait trouver dans cette ville...? Oh ! évitez de me parler de la milice locale, à vrai dire je chercherais un emploi, disons, plus à mon compte..."

Haussant un sourcil, il attendit la réponse, espérant ne pas trop attirer l'attention de coupe-jarrets à la recherche de quelqu'un à utiliser pour casser des bras. Le barbare tenait à quelque chose un minimum honnête, craignant que la situation se détériore rapidement...

Selrian se contenta alors de désigner le demi-ogre.

"Oui... Je crois voir ce que vous vous voulez dire..." dit-il en riant nerveusement.

Les deux compagnons restèrent ainsi accoudés pendant quelques minutes, alors que le demi-ogre finissait son repas. Quelques regards inquiets ou méprisants étaient toujours tournés en sa direction, mais il ne fut effectivement guère ennuyé.

Lorsqu'il s'adressa à l'aubergiste, celui-ci réfléchit un moment, alors que Selrian tentait discrètement d'écouter leur conversation.

"Hum, eh bien, je ne sais pas trop... Un gars comme toi devrait pas avoir trop de mal à s'faire enrôler comme garde dans une caravane, ou comme vigile... Mais j'en ai d'jà un et il m'suffit pour l'instant."

Alizée regarda le demi-ogre engloutir son repas, vraiment celui-là devait être couteux en nourriture sur la longueur. Quoique il mangeait peut-être ses victimes de temps à autre, de manière atroce... La guerrière secoua la tête et chassa cette pensée, c'était ridicule un ogre cannibale ne pouvait être aussi civilisé, celui-ci devait venir d'une famille noble. Non ça aussi c'était bête car il n'y avait pas de noble chez ces créatures là...

*Tu débloque ma vieille, tu ferais mieux de te concentrer un peu !*

La voix grave de l'ogre résonna presque dans toute l'auberge, il faut dire qu'avec sa taille il devait avoir du coffre... Alors comme ça il cherchait du travail, c'était en fait un mercenaire ! Pas étonnant avec ses gros bras il aurait été utile à n'importe quel groupe d'aventurier. A ça c'était le rêve d'Alizée : Créer une compagnie, sa coterie pour courir aux quatres coins du monde et revenir avec la gloire et une multitude de richesses ! Comme son père en fait.

Mais dans l'instant présent il lui fallait infiltrer une caravane avec le risque de voir sa carrière se terminer un peu trop vite dans une mare de sang. Finalement elle regrettait un peu la présence d'Erebus qui lui aurait été fort utile en ce moment là. Elle jeta un coup d'oeil circulaire à l'auberge, il ne semblait pas avoir d'aventuriers de passage ici.

Finalement le regard d'Alizée se posa sur le demi-ogre. Elle tréssaillit : Engager ce monstre ?! Enfin il était colossal, c'est sûr que dans un combat il devait faire la différence. Mais enfin quand même, qui disait qu'il appréciait les petites humaines autre part que dans un ragoût ?

*Selrian me protégerait de toute ma-... Non c'est vrai c'est moi qui protège Selrian...*

Il avait pas l'air si méchant, quoique sa masse devait faire la taille de la guerrière. Mais elle ne pouvait tergiverser bien longtemps, c'était une occasion, et comme disait son père : "Occasion ratée risque de regret". Evidemment cela ne valait pas mieux que : "Qui tente rien n'a rien".

Le colosse se retourna, surprenant Alizée. Elle voulu dire quelque chose et sa voix se noua. Mais elle n'était ni timide ni froussarde d'habitude, c'était incroyable ça ! Elle se morigéna et déclara avec une voix sûre :

"Excusez moi messire ! Vous avez... Une minute ?"

*Messire ?*

Les paroles de la fillette sonnèrent étrangement dans les oreilles du géant. Pour un peu plus, et si la situation s'y était prêtée, il aurait éclaté de rire !

Mais Rohrbag se contenta de détailler la petite guerrière. Rien dans son ton ni dans son attitude ne laissait présager un mauvais coup, non, on allait sûrement l'interroger sur sa venue en ville, sans doute sur ordre de la garde. Il grogna doucement et tenta d'avoir l'air décontracté. Le demi-ogre ne ferait pas de difficultés, ce n'était pas dans son intérêt... et si le besoin s'en faisait ressentir, il tenterait de la ridiculiser.

Prenant la parole sans totalement faire face à Alizée, il répondit d'un ton neutre :

"Mmmh oui, vu que je viens d'arriver en ville, j'ai du temps devant moi, même si je préfèrerais chercher un travail..."

Méfiant, il précisait une fois de plus qu'il était nouveau, ainsi si la jeune fille était au service de la garde, il éloignerait des soupçons injustifiés. Visiblement, il ne comprenait pas les intentions de son interlocutrice, et ce tout simplement parce qu'il ne savait rien d'elle. Lui forçant un peu la main, il s'empressa de préciser à son attention, histoire aussi de détendre toute tension éventuelle :

"Je suis Rohrbag."

Hésitant, il lui tendit la main un peu maladroitement, ne sachant vraiment si cela faisait partie des coutumes locales, mais désireux de ne s'attirer aucun soupçon.

Alizée dû lever la tête pour regarder son interlocuteur. Elle descendit de son siège pour prendre un peu de hauteur. En fait nom elle était plus grande sur le tabouret de bar que debout... Heureusement qu'elle était du genre à ne pas se démonter pour rien, sinon elle aurait sûrement eut un petit moment de silence, le genre gênant et pesant. L'ogre semblait méfiant, mais pas agressif, oui c'était normal il était pas cannibale celui là. Non vraiment était-ce une activité pour les filles de son âge de parler avec les ogres ? Normalement c'est les gentils jeunes hommes...

*J'aime pas faire les choses comme les autres...*

Elle allait dire : "ça roule" lorsque le colosse lui tendit la main. Une main qui recouvrait complètement celle de la guerrière. Alizée essaya de la serrer avec sa petite menotte, mais elle ne réussit pas à grand chose d'autre que de se faire mal.

"Je suis Alizée "Moonwind" de la famille Herdenhammer."

Elle haussa un sourcil et ajouta plus simplement :

"Enfin appellez moi juste Alizée."

La jeune fille esquissa un sourire, finalement il était pas si terrible que ça, quoique pour l'instant il était calme mais ce n'était peut-être qu'une façade. Elle resta un court moment sans rien dire puis enchaîna avec assurance :

"Vous cherchez du travail ? J'ai peut-être justement ce qu'il vous faut ! Je recherche des bras sur lesquels me reposer car il y'a risques de bagarres, vous sentez vous à la hauteur messire ?"

Un soupir de soulagement et un petit rire échappèrent au demi-ogre, étonné par la tournure que prenaient les évènements. Un travail de mercenaire ? C'était ce qu'il recherchait, et il avait quelqu'un pour l'employer qui venait à lui sans avoir à lever le petit doigt ! Bien sûr, il y aurait beaucoup de questions à poser, des détails à régler, et il ne savait pas exactement pour quoi on l'engageait... mais il ne s'était vraiment pas attendu à tout ce déferlement.

Retenant à peine un sourire d'exultation, il s'adressa à la guerrière d'une voix qui tremblait d'excitation mal contenue :

"Alizée, oui... euh, hé bien, quel type de travail vous me proposez...? Oh, pardon, je... enfin, peut-être qu'on pourrait parler de tout ça dans un endroit plus calme non ?"

En effet, si on lui demandait de combattre des ennemis aux oreilles traînantes, peut-être valait-il mieux rester un allié discret... Le doute instillé dans son esprit, il tourna la tête d'un air inquiet.

Alizée sentit qu'elle avait piquée la curiosité de son interlocuteur. Elle jeta un coup d'oeil rapide à Selrian pour voir ce qu'il en pensait, elle se doutait qu'il ne devait pas être ravit de pactiser avec un ogre ! Pourtant les meilleures alliances étaient souvent les plus innatendues.

La guerrière pencha la tête sur le côté, tortillant une de ses mèches, tic qu'elle prenait souvent lors d'une intense réflexion. Finalement elle leva son regard vers le colosse, le suivre dans un endroit tranquille ? Juste elle et lui ? Sans témoins ? Alizée avait toujours eut une certaine confiance en elle, mais là tout de même c'était pousser le mouton dans le ravin et elle n'était pas bergère...

Mais il ne semblait pas fourbe, ce genre de créature pouvait-elle seulement l'être ? Généralement elles étaient plutôt franches, ce n'était pas logique. Mais que valait la logique face à un coup de masse d'arme ?

*Pas grand chose en fait...*

La guerrière se racla la gorge, se mordit les lèvres et déclara finalement :

"Oui un endroit plus calme, c'est une bonne idée. Suivez moi dehors, je pense que c'est le mieux."

Alizée s'élança avec sa grâce naturelle, pas elfique mais presque. Elle réfléchissait déjà à quoi proposer au demi-ogre en échange de ses services. Oui car si c'était un mercenaire elle n'était pas très riche... Il ne restait que la gloire et le plaisir d'un combat, peut-être était-il adepte de Tempus comme elle ? Ca serait trop beau...

Au vu du coup d'oeil jeté par Alizée, Rohrbag commença à penser qu'elle courait un danger direct. Mais elle semblait aussi intimidée par sa présence étrange, il ne fallait pas lui en vouloir... Sa façon de lui répondre confirma les idées du barbare, peut-être fallait-il faire vite.

Il la suivit à un mètre de distance, jetant des coups d'oeil de droite et de gauche, sur le qui-vive... de bons services lui vaudraient le respect, c'était sûr !

Arrivé à l'air libre, il se redressa. Il faisait bien meilleur à l'extérieur, et les rues étaient assez calmes après l'heure du repas. Le demi-ogre s'étira, faisant jouer ses muscles puissants sous sa peau et faisant craquer sa colonne vertébrale. Puis il posa deux doigts épais sur le bras de la guerrière, et la rattrappa.

"Il y a sûrement moins de monde pour nous écouter ici, à moins que vous ayiez peur que vos ennemis ne nous aient suivis..."

Jetant un coup d'oeil derrière lui, il s'assura que personne ne les menaçait par sa présence indiscrète, puis reprit :

"Allons droit au but... pour quel... "travail" avez-vous besoin de moi ?"

Alizée ne pu s'empêcher de sursauter lorsque le demi-ogre posa ses énormes doigts sur son épaule. Vraiment il allait falloir un moment avec qu'elle ne s'habitue à lui. Mais chaque chose à son temps. Elle pivota promptement sur un pied, la manoeuvre rapide aurait pu paraître précipitée si la guerrière ne s'était pas parfaitement rattrapée sur son autre jambe.

Elle ne craignait pas vraiment ses potentiels ennemis, tout du moins pas encore, mais il vrai qu'il y'avait pas mal de caravanier dans la taverne, il aurait été dommage de tout compromettre à cause de ça. Dans un sens Rohrbag était intimidant mais sa présence était aussi rassurante, car au moins personne ne viendrait les embêter. Alizée inspira profondément, puis entama ses explications :

"Il y'a une caravane qui s'est arrêtée dans cette ville, elle repart ce soir. Je traque un voleur qui pourrait en faire parti. Il a dérobé un objet qui n'a que peu de valeur financière mais qui est un symbole pour son propriétaire, d'où son importance."

Elle ne souhaitait pas vraiment attiser la cupidité potentiel de son interlocuteur, car les mercenaires pouvaient parfois demander une part exorbitante sur les butins.

"Je compte infiltrer la caravane pour voir si il y'a ce que je recherche. Et j'ai besoin de vous au cas ou cela tournerait mal, pour intervenir et régler les problèmes potentiels d'adversaires trop nombreux ! Vous voyez ce que je veux dire ?"

Ridicule... le géant se sentait ridicule, d'avoir pensé qu'il allait avoir à régler des comptes tout de suite. Il secoua la tête et sembla s'absorber dans la réflexion. Ce qu'Alizée lui demandait était assez inhabituel, elle était sûrement aux ordres d'une organisation du Bien.

Rohrbag n'avait que faire du Bien, du Mal... il accepterait s'il y avait du profit à la clé, un profit qui pouvait prendre plusieurs formes.

"En somme, vous me demandez d'être votre associé... Bon, je dois savoir certaines choses avant de m'engager, comme par exemple qui vous emploie, et comment comptez-vous m'intégrer à cette caravane ? Aussi, vous devez bien savoir que mes services ne seront pas gratuits, surtout qu'un départ... précipité... hé bien en fait je pensais chercher du travail pour m'installer..."

Il soupira, haussant les épaules, puis eut un petit rire.

"Peu importe, la route vous appelle ! Il sourit. Racontez-moi tout, Alizée, si les Dieux m'ont placé sur votre chemin, il doit bien y avoir une raison."

Rohrbag semblait avoir du mal à aborder les problèmes, s'en remettre au destin lui apparaissait comme une bonne idée. Après tout, Alizée avait l'air d'une combattante elle-même, et vu ses occupations, elle devait avoir la notion de ce qu'est l'honneur. Elle ne se servirait sans doute pas de lui comme l'Ecorcheur...

Voilà ce qu'Alizée avait craint : le coup des opérations. Vraiment elle n'avait rien à lui offrir si ce n'était sa gratitude. C'est bien la gratitude d'une guerrière non ? Ca ne nourrit pas son homme mais ça fait des histoires à raconter.

*Tout expliquer tout expliquer, vite dit je dois tout de même prendre garde à ne pas trop en dire, pas comme hier avec Erebus.*

Elle se gratta la tête, puis reposa sa main sur la garde d'une de ses épée, l'autre sur la hanche, prenant une posture conquérante. Elle se creusa la tête un moment pour trouver les bonnes explications, puis fermant les yeux un instant elle se lança :

"Ca sera plus simple que vous ne le pensez. Je travaille pour le clergé de Séluné, l'homme qui m'accompagne est d'ailleurs un prêtre. Mais il n'y aura pas besoin de vous intégrer à la caravane, je ne compte me faire engager là bas car je doute que je sois acceptée, si le voleur traîne il sera très méfiant vis à vis des nouveaux. Non je comptais y aller clandestinement en fin d'après midi, explorer tout les chariots et trouver le voleur suspecté et lui faire dire ou il à caché son larcin !"

Alizée se rapella hier soir, ou l'homme suspecté par Erébus les avait fixés pendant toute leur entrevue. Ce type avait tout l'air d'un caïd, vraiment il avait la tête idéale du client.

"Si j'ai besoin de vous c'est si je me fais prendre, découverte il y'aura sûrement beaucoup de monde à ma course. Mais vous pourrez faire diversion pendant mon replis."

Elle baissa la tête un instant, et ajouta à voix basse, en un murmure :

"Mais par contre mon cher messire je n'ais pas grand chose à vous offrir..."

Pas de récompense... La victoire serait une petite consolation, mais les risques en valaient-ils la peine ? Se passant la main dans son collier taillé au couteau, Rohrbag réfléchit à nouveau, fronçant les sourcils. Séluné, hein... se mettre l'église rivale à dos n'était pas conseillé. Même si la gamine lui plaisait bien, il ne la connaissait pas, et il ne savait pas si elle saurait mener ses opérations à bien. Enfin... il ne lui devait rien, alors pourquoi ne pas accepter ? Il pourrait toujours se débrouiller pour profiter de la situation, si cela dégénérait.

Adoptant une moue légèrement déçue, il s'adressa à Alizée :

"Ah, en fait vous avez juste besoin de quelqu'un pour vous couvrir... j'avais espéré pouvoir retirer quelque chose de cette association."

Réfléchissant à nouveau, une pensée sembla s'imposer à lui...

"Vous pensez que vos employeurs pourraient m'aider à trouver un travail ? En récompense ? Je ne connais pas grand chose aux valeurs de... Séluné ? Mmmh, il est vrai, ma nature ne m'a pas donné l'occasion de m'intéresser aux dieux... A part le Dieu de la Guerre, ajouta-t-il sur le ton de la conversation, bien sûr, malgré que..."

S'interrompant dans ses méditations, il planta son regard dans celui de la guerrière.

"Bien, je n'ai pas grand chose à faire, j'accepte. Mais si nous devons opérer ensemble, je dois vous mettre en garde... Je crois... je crois que je suis... comment dire..."

*Non ! Lui dire que je suis maudit la rendrait méfiante... comment exprimer les choses ?*

"... disons que mon sang ogre peut me rendre dangereux."

Un pâle sourire apparut sur ses lèvres, visiblement, ce n'était pas ce qu'il avait tenté de dire. Il reprit :

"Une bataille rangée pourrait me retourner contre vous. Je suis resté... sauvage ! Enfin, ce type de problème ne s'est manifesté que dans des conditions exceptionnelles. Vous voyez, je suis honnête avec vous."

Il écarta les mains, espérant que la jeune fille saurait faire baisser sa tension.

Il avait accepté contre rien, ça c'était de la veine. Alizée remercia une bonne dizaine de fois sa bonne étoile, surtout qu'elle allait en avoir besoin dans les heures à venir. Elle croisa les bras et fronça les sourcils lorsque le demi-ogre lui parla de sa "sauvagerie". Pourtant comme ça, à première vue, il avait presque l'air gentil finalement... Mais il n'aurait pas une masse d'arme aussi énorme si il était pacifiste, pas vrai ?

*Souviens toi bien de ma tête toi, j'ai envie de la garder sur les épaules !*

Elle se mordit de nouveau les lèvres, elle avait interêt à se tirer vite fait bien fait lorsqu'il cassera une durite. La guerrière se tortilla légerement sur place, puis déclara d'un ton hésitant :

"Sauvage ?"

Elle soupira et passa une mèche derrière son oreille, un demi-sourire s'étira sur son joli visage. Elle leva les paumes en l'air et ajouta avec une voix presque apaisante :

"Vous ferez attention à moi, hein ? J'ai une famille et..."

Elle toussouta et changea subitement de sujet :

"Ah oui Séluné ! C'est une déesse bonne, ses adeptes la vénèrent au clair de lune, c'est l'ennemis jurée de Shaar, qui est une vraie garce elle par contre ! Mais je ne suis pas une fidèle de Séluné, Tempus guide mes armes !"

Alizée avait haussée le ton en disant ça, jetant une de ses mains dans les airs, une certaine fierté, la fierté de tout les guerriers, se lisait sur son visage. Elle ajouta plus calmement :

"Ils vous donneront sûrement du travail, les clergés ont toujours quelques chose à faire faire. Séluné est tolérante, je ne pense pas qu'ils refusent vos services... Surtout si vous m'aidez auparavant dans cette mission."