(Contrées du Mitan) Aux abords de Château-Suif

Après des jours interminables face à l’infini bleuté, voilà qu’enfin quelque chose paraissait à l’horizon. La vigie s’égosilla, les matelots s’affairèrent, le capitaine beugla quelques impératifs, et alors toute la petite coque de noix qu’était le navire dans cette immensité se mit à vibrer de son équipage de laborieuses fourmis navigatrices, et ce sous le regard nonchalant de quelque cigales passagères, ou du moins l’une d’entre elles… Affalée sur un coin de barrière propice à quelques glandouilles pépères, Elée s’amusait à voir ce petit monde s’affairer avec tant de dévouement, sans compter qu’elle se réjouissait et s’impatientait d’enfin poser le pied sur cette terre d’inconnu qui leur faisait face, enfin! Le bateau, se dirigeait vers un petit port à la frontière de l’Amn et du Mitan, probablement l’une des côtes les plus accessibles pour rejoindre ce deuxième par la suite, même si la route est longue pour atteindre l’intérieur des terres... Mais la jeune femme avait tout son temps, après tout, et toute l’histoire de sa liberté à écrire! Un immense volume dont seules les quelques premières pages étaient couvertes d’évènements, qu’il s’agisse de son enfance, de son frère, de la grotte… Elle frémit ; le port n’était plus très loin!
Soudain, une voix s’éleva à quelques mètres : un marin averti expliquait au mousse la nature de l’objet qui semblait tant le fasciner, un peu plus loin sur la côte. Une forteresse, lointaine mais bien gigantesque, couverte d’oriflammes dont on distinguait à peine l'héraldique : une tour surplombée d’une mèche enflammée… Elée ne put s’empêcher de rester bouche bée, car ce n’était autre que Château-Suif, bastion de la connaissance et plus titanesque bibliothèque connue de Faerûn, couchée là, devant elle, dans toute sa splendeur sur la roche littorale.
Bientôt, l’embarcation accosta dans l’humble port d’une petite bourgade, d’où l’on pouvait d’ailleurs toujours admirer l’orgueil de la connaissance incarné. Et c’est à l’instant où le bateau toucha le bord du ponton, qu’Elée s’apprêtait à se ruer vers ce nouveau continent de rêves et de libertés, qu’une main se posa sur son épaule. C’était le capitaine, un homme moustachu, grand sec d’un certain âge, qui lui demanda de sa voix grave et vibrante :

- Alors, ma d’moiselle! C’est bien là, hein? Que vous nous faites défaut de votre charmante présence…Bah, si jamais, nous repartons demain pour Athkatla, et je peux vous faire cadeau du voyage, vous qui savez si bien chanter. Mais si vous voulez toujours les contrées du Mitan… et bien vous y êtes!

Elee sursauta au contact de la main du capitaine sur son épaule, tant elle était obnubilée par l'effervescence ambiante de la petite bourgade de bord de mer. Les gens vaquant à leur occupations, des enfants courants et pechants, des dockers vidant les marchandises ou d'autres hurlant des ordres, tout cela, lui rappellait un vague souvenir de ce qu'elle avait laissé mais elle se changea rapidement les idées. Elee était tellement ravie de voir autant de mouvement après ces quelques jours de voyages dans la Mer des Epées, qu'elle ne put s'empecher de sourire. Un sourire incontrolable qui illuminait son visage. Puis elle se tourna vers le capitaine, après avoir entendu ce qu'il avait dit et surtout proposé. Le nom de la ville d'Athkatla prononcé aux oreilles de la jeune barde avait éveillé en elle une curiosité certaine, puis, en prenant la parole, répondit d'une voix guillerette et interessée gardant toujours un visage souriant :

- Athkatla?! Je meurt d'envie de découvrire. Il y les Flèches d'Or dont parlent les livres que je voudrai admirer, ainsi, mon coeur battrai en rythme la synphonie des mythes de Waukyne... et aussi la Grand'Place du Marché, on raconte dans l'Archipel de Moonshae, que cette place compterai plus d'une cinquentaine de marchands différents, vous rendez-vous bien compte ? Mais ce n'est qu'une rumeur... mais j'ai bien envie de verifier tout de même... j'aurai hâte de faire ce voyage si vous voulez encore bien de moi... et je me sentirai gênée de ne pas payer votre dû. Aussi, je m'en vais mettre pied-à-terre pour la soirée et tenterai de jouer de la lyre afin de reccuillir les quelques gages des valeureux bien-nés qui sauront reconnaitre en mes compositions jouées et chantées une valeur suffisante pour se séparer d'un quelque poids dans leur bourse. Je passerai la nuit dans l'auberge de ce petit village acceuillant, en espérant la trouver, aussi, je vous demanderai de bien vouloir m'attendre avant de partir pour Athkatla demain.

Puis elle sauta par dessus la rembarde et tomba sur ses deux pattes en un mouvement souple des jambes. Elle avait laissé son sac sur le bateau sans se rendre compte qu'elle l'avait oublié mais quoi qu'il en soit, elle avait confiance en ce capitaine moustachu avec qui elle avait fait pas mal de route... si l'on peut considérer le trajet maritime comme une route. Elle fit quelques pas et rejoignit l'endroit d'où le plus grand nombre de gens pourraient l'entendre jouer. Elle dénoua la corde qui maintenait accroché sa lyre à sa ceinture, regarda les alentours... quelques personnes l'avaient remarqué mais ne s'étaient pas pour autant arretés, d'autres, plus oisifs levèrent des sourcils curieux et attendirent de l'entendre jouer. Ce qu'elle fit.

Elle commença par quelques accords en pinçant et carressant du bout de ses longs doigts fins les cordes parallèles de sa lyre puis commença à chanter quelques mots joyeux pour son publique surtout composé de marins et autres pêcheurs :

- Doux rivages aux larges flots,
Prends le large mêm's'il est tôt.
Un mouchoir blanc pour quelques larmes,
Il est temps d'lancer un adieu à ta dame.
Ton coeur flambant sur ton navire de bois,
Prend garde à ne pas le rotir ce bois,
Car tu pourrais bien finir à l'eau,
Et c'est bien cela qui éteindra ta flamme.

Doux rivages aux larges flots,
Prends le large mêm's'il est tôt.
Saisit ton fils, robuste
Ralit ton ami, mâture
Mais surtout, ne t'enflammes pas sur ta coque de noix. Hoy!

Puis Elee termina sa chanson en jouant toujours plus vite mais la vitesse requiérant trop de concentration, elle ne put chanter. Son instrument accompagnateur devint alors l'instrument soliste et maître de la fin de la chanson.

Tout en sautant lestement sur le quai, la jeune femme pu entendre ces quelques derniers mots du capitaine:

- Pas d'problèmes, m'am'selle! On vous attendra, mais pas plus d'une journée! Hahaha! Mais j'vous fais confiance, à bientôt!

Ainsi, elle avait mit pour la première fois de sa vie pied sur le sol continental et s'apprêtait déjà à y jouer quelques notes. A la vue de la lyre, déjà quelques enfants s'étaient assemblés, suivis de leur grands frères et autres dockers, venus, eux, pour admirer autre chose que l'instrument... et c'est bien vite un joli publique qui se pressait sur le quai, tant pour attraper les notes et paroles d'Elee que pour observer sa grâce. Une fois sa splendide représentation terminée, tous applaudirent la performance, certain la récompensant même de quelques menues piécettes, déjà fortune pour quelques gens de petits ports. Ceci fait, la plupart repartit vaquer à ses occupations, le regard toujours fixé sur la charmante barde quoiqu'un peu jaloux de la scène qui se déroulait présentement: en effet, l'un des gaillards, hardi et pas des moins imposants, venait de s'approcher d'Elee l'air d'avoir quelques idées en tête...

- Et ben ma belle! Tu chante aussi bien que les sirènes tu sais? Peut-être mieux, même! Ça te dirai de venir chantonner un coup à la taverne avec moi? Ce serait un plaisir de t'offrir un petit verre, et puis une jolie nuit!

A peine arrivée, voilà qu'elle se trouvait déjà dans une situation des plus embarrassantes: tout ça sentait un peu l'anguille crevée... il devait en avoir déchargé toute la journée.