Rudash traîne...

Rudash traîna sa grande carcasse - et sa grande hache - le long des rues, essayant en vain d'interconnecter plus que deux neurons. Erreur 404, comme on dirait aujourd'hui. Plantage du processeur, réinitialisation.

En même temps, vu l'air ahuri qu'il avait tout le temps, ça ne changeait pas grand chose. Il ne faisait que transpirer sous son armure en plus, ce qui lui donnait un air sale et pas sympa. Déjà qu'il n'était pas un prix de beauté...

Soudain, une étincelle jaillit dans la brume qui dormait sagement dans l'esprit de Rudash. Chaud, donc boire ! Cette pensée phénoménale, ce bond en avant d'au moins trois sisècles dans la pensée orque faillit le renverser. Il se mit donc en quête d'une taverne, et entra dans le premier bouge qui semblait à peu près capable de lui donner de quoi boire.

Et puis - mais ça, Rudash n'y avait pas pensé -, une taverne, c'est l'endroit idéal pour faire des rencontres, n'est-ce pas ?

L'orque ne passa pas inaperçu. Vous me direz, une grande chose verte de deux mètres de haut et ayant les kilos à l'avenant...C'est assez remarquable.

Rudash poussa jusqu'au comptoir, et tenta de s'asseoir correctement. Il réussit à ne pas chuter, mais ce fut son plus grand succès. Il héla le barman, qui le surveillait anxieusement du coin de l'oeil.

" Hé ! Rudash veut boire ! Bière fraîche ? "

Là encore, l'effort était quasi surhumain pour Rudash : il avait failli aligner trois phrases, tout de même !

La salle n'était qu'à moitié remplie. Un homme maigre au nez cabossé s'agita derrière le bar et attrapa une chope tout aussi cabossée pour la remplir.

"Et barman veut pièces d'argent ! Toi avoir pièces d'argent ?"

Quelques ricanements s'élevèrent dans l'assistance. Apparament, ce n'était pas la première fois que le tenancier devait avoir affaire à des débiles. Affecté d'un léger strabisme divergeant, il n'en gardait pas moins l'oeil pour repérer à quel espèce il avait affaire.

Rudash se retourna, une dent hors de la gueule. Il n'avait pas spécialement envie de se battre, mais s'il le fallait...Ca le défoulerait.

Puis il se retourna, sans un mot. Il tapota sa bourse, qui émit nu bruit chouette : " Gling, gling ! ". Le genre de bruits qui ravit un aventurier, et un barman, quoi. Cependant, cela ne suffirait pas. L'orque prit donc ladite bourse, et y chercha précautionneusement une pièce d'argent, qu'il saisit de sa main droite.

Il voulut faire un clin d'oeil, mais comme il était borgne, cela ressembla à un sommeil rapide. Puis Rudash remit la pièce dans la bourse.

" Rudash est p't'être pô super malin, mais Rudash paie pas d'avance. Fô pas s'fiche des gens. "

Le barman haussa les épaules, très tranquille, et rempli la chope de bière, avant de la poser sur la table d'un geste vif.

"Ah ouais? Et bien Rudash pas trop faire le mariole, sinon Rudash prendre mon pied au cul, compris?"

Plutôt bizarre, de voir un type certe aussi grand que le demi-orque, mais qui devait faire un quart de son poids tout mouillé, le menacer de la sorte. Le barman devait avoir de la ressource pour manifester autant d'assurance. Mais encore fallait-il que Rudash soit assez finaud pour s'en rendre compte... A voir ses cheveux grisonnant, peut-être un aventurier à la retraite, il y en avait tant à Calimport.

Malgré sa stupidité quasi-légendaire, Rudash sentit qu'il y avait anguille sous roche. Du moins, il sentit que le type en face avait du répondant. Il se contenta juste de le fixer dans les yeux, avant de saisir sa chope, d'un geste plutôt brutal. Quoique, à la réflexion, c'était un geste de demi-orque.

" Combien Rudash te doit ? Sauf si tu veux t'battre avec lui pac'qu'il est vert...Pour ça, Rudash peut prendre la hache. Sinon, Rudash te paie. "

C'était complètement embrouillé, mais Rudash ne rougit pas ( c'est dur, quand on est tout vert, d'ailleurs ). Il se contenta de garder ses yeux dans ceux du barman, attendant de voir comment l'autre allait réagir.

Il sentait aussi confusément qu'il allait s'attirer des ennuis, mais la vie d'un demi-orque est faite de ça...Après tout, mal adaptés aux autres comme ils le sont, souvent on les brimait pour leur couleur de peau.

Une fois, lors d'un voyage, un type avait attaqué Rudash parce que c'était un orque. Sans doute un de ces pauvres idiots qui s'imaginait que tout ce qui sortait des Terres de la Horde était rejeton de l'enfer. Il n'eut pas beaucoup plus de temps à vivre pour comprendre, son crâne étant fracassé assez violemment par un coup de hache plutôt bien placé - pour une fois.

Depuis, Rudash avait comme point d'honneur de taper sur tous ceux qui n'aimaient pas les orques. Force Verte !

L'homme plissa les yeux, tout en soutenant son regard, et déclara d'un ton égal :

"Tant que Rudash fout pas le bordel, tout va bien. Et c'est une pièce d'argent"

*Si tu sais compter jusque-là* marmonna t-il dans sa barbe.

Il ne semblait pas avoir d'apriori sur les orques. Seulement contre les emmerdeurs... Et il donnait vraiment pas l'impression de se laisser emmerder par le premier venu, c'est sûr!

A ce moment-là, une troupe d'aigrefins entra dans la taverne. Vu leurs mines, ils donnaient l'air d'être de mauvaises fréquentations. Ne serait-ce que par les couteaux qui brillaient à leurs ceintures.

Rudash hocha la tête, d'un air benêt. En fait, il venait de comprendre ( en ayant eu pas mal de problèmes avec ses neurons balladeurs ) que le barman n'était pas un ennemi.

Il chercha alors nue pièce d'argent dans sa bourse, et la posa sur le comptoir. Le demi chercha aussi une excuse valable, car il sentait que ce type pouvait être sympa. Mais c'était plutôt dur. Finalement, il trouva une formule toute faite. A se demander d'où il la sortait, d'ailleurs...

" Bon, alors ça va. Rudash l'est pas là pour bordel. Tiens, voilà la pièce d'argent. "

Une troupe de types qui n'avaient rien de joyeux drilles entra alors, et Rudash leur lança un regard en coin pour s'assurer que ce n'était pas pour lui, avant de boire sa bière, tranquillement. Cependant, il rapprocha inconsciemment sa hache de lui, au cas où...

Le type au cheveux argentés rafla la pièce avec un expression neutre. Il se tourna vers les nouveaux arrivants.

"La peste ne t'as pas encore emporté Fouram? Damné soit-tu!"

Le petit groupe bruyant baissa d'un ton. Mais celui qui semblait être le meneur, un petit gars basané aux cheveux crépus, bomba le torse et déclara:

"Et le vent du désert n'a pas encore dispersé tes os, Orsin? Ha, cesse de te pleindre, et apporte-nous ce petit vin de palme que tu planque dans ton arrière-boutique."

Ils s'attablèrent, bavardant de tout et de rien, semblant se préoccuper de personne, surtout pas du sinistre type en noir dans le fond de la pièce, jouant le rôle du mystérieux étranger de service.

Rudash observa d'un oeil distrait les autres entrer dans la taverne.

Mais très vite, ses capacités à emmagasinner les informations étant très inférieures à la moyenne, il classa ce fait comme " Non nécessaire ", et donc l'oublia.

Le demi sirota donc sa bière, tranquillement. A mesure que sa température corporelle baissait, il se sentait aller nettement mieux. Décidément, il faisait trop chaud dans le Calimshan. Pas un pays très sympa.

Un regard à l'extérieur lui annonça que visiblement, le soleil ne tapait plus trop fort. Une bonne chose, parce que ça devait être l'un de ceux qui tapaient plus fort que Rudash, et quand on tapait plus fort que lui, Rudash s'énervait.

Il se décida donc à quitter la taverne. Il se leva, remit sa hache sur son épaule, et sortit de son pas tranquille.

Cependant, son regard fut capté par le type en noir, une dernière fois, alors qu'il se retournait pour saluer. Ce gars avait vraiment une drôle d'attitude. Mais ça n'était pas son affaire, après tout.

Rudash prit donc la pose, avant de déclamer un texte mûrement réfléchi.

" Salut à tous, à la r'voyure ! "

Puis, d'un pas triomphant, il sortit de la taverne.

Après un instant de réflexion d'au moins...Trois secondes, ce qui devait être pas loin de constituer un record pour lui, le demi se décida.

Il irait voir les dockers. Il y avait toujours du boulot pour un gaillard comme lui, et puis en ce moment, Calimport était assez active...Il pourrait se faire quelques sous.

En plus, un des dockers semblait plutôt sympa.

Tout naturellement, donc, Rudash se dirigea vers le type, qui pour le moment se reposait de l'effort, appuyé contre un mur.

Il traînait toujours sa hache avec lui, et la posa contre le mur, regardant le docker de haut sans le vouloir.

" Salut. Rudash cherche boulot dans l'coin, tu connais où on peut trouver ? "

N'importe quel professeur de commun aurait hurlé devant ce genre de phrases, mais après tout, c'était un demi-orque, et il parlait à un docker...Pas besoin de parler le langage de la haute !

L'homme plissa les yeux en voyant la hache et cracha sa chique.

"Ouais, va voir le chef d'équipe, y devrait se trouver près du quai numéro sept."

Difficile de compter jusqu'à sept, mais Rudash savait faire. Il avait même compté jusqu'à vingt une fois, mais il ne se souvenait plus pourquoi, juste que cela lui avait filé la migraine.

Chemin faisant, il croisa un petit groupe de cinq ou six personnes dont trois "demi" comme lui, réunies autour d'une table improvisée. Visiblement il se passait quelque chose de très passionant, vu l'état d'excitation dans lequel ils se trouvaient. En s'approchant un peu, Rudash distingua en fait que les deux qui était assis se livraient à un bras de fer pour les quelques pièces d'argent et de cuivre posée là. Peut-être Rudash pouvait-il tenter sa chance? Bien sûr, ici, le risque de tomber sur quelqu'un de plus fort que lui était plus élevé que la plupart du temps. Mais le risque était depuis longtemp une notion très floue pour Rudash...

Rudash promena son regard d'ahuri un peu partout. Il regarda le quai en face : le numéro 5 était écrit dessus, en gros en plus !

Le temps passa avant qu'une étincelle de génie vint briller dans le vide intersidéral qui remplissait l'espace intersticiel entre ses neurones : 5 + 2 = 7 !!!

Il était donc logiquement à 5 quais du 7...Ah ben non. Tout faux.

Du coup, décontenancé par ce manque de rigueur scientifique, et fatigué par l'effort intellectuel, Rudash se dit qu'il allait se détendre un peu.

Il se rapprocha du groupe, et parla de sa voix normale, c'est-à-dire une voix caverneuse, qui sonnait presque aussi creux que sa tête.

" Salut, heu...Les gars. Y'a bras de fer ? Rudash peut jouer ? "

Les visages se tournèrent vers lui, méfiant. Un type courtaud et rablé qui était assis à la table étala les pièces devant lui.

"D'accord. Mais d'abord tu lâche ce truc." dit-il en désignant la hache.

Ils firent une place pour que Rudash puisse approcher et reformèrent le cercle autour.

"Combien tu mise?"

La mise moyenne était de quelques pièces d'argent. Son adversaire n'avait pas l'air redoutable outre mesure, mais tout dépendait jusqu'où Rudash avait envie d'aller.

Rudash posa précautionneusement sa hache contre un mur, de sorte qu'elle reste en vue. Il n'allait pas perdre l'un de ses principaux outils de travail !

Puis il tapota sa bourse tranquillement, et en sortir cinq pièces d'argent.

Il les déposa sur la table, en tapant sa main dessus, pour faire un bon bruit bien lourd, et pour se donner un genre.

Il s'allongea ensuite sur le dossier de son siège, en observant son adversaire.

L'esprit de Rudash réussit même à placer une pointe d'ironie ( si, si ) !

" Ou alors Rudash t'fait déjà peur ? "

Il rit, d'un rire gras et lourd, celui du débile de service qui a trouvé une blague à peu près drôle. Pour lui. Quand il est dans un bon jour.

Passé l'agitation, le match commença.

Jet de force 13+3=16 contre DD de Force 15

Rudash l'emporta, mais pas aussi facilement qu'il ne l'aurait cru. Il venait donc de gagner onze pièces d'argent et trois de cuivre, bien qu'il que dans son estimation personnelle de la richesse, cela devait se trouver entre "un peu" et "pas mal".

Quelque jurons plus tard, son adversaire du jour se leva en râlant. Mais immédiatement un autre le remplaça. Un demi-orque comme lui, au teint tirant vers le brun.

"Un coriace, ça me plaît! Je double la mise."

S'installant sur le tabouret, il jeta une poignée de pièce et posa déjà un coude sur la table improvisée, un air de défi dans les yeux.

"A moins que Rudash aie déjà peur?"

Rudash cacha ( on ne sait pas trop par quel artifice sorti d'un neurone bien caché, qui devait résider dans son oreille droite ) sa surprise, et se rassit dans sa chaise.

En même temps, l'estimation de la force de son adversaire était trop douloureuse pour son faible cerveau...

Rudash décida donc de faire ce qu'il devait faire : accepter.

" Rudash, l'a peur de personne. Tant qu'ça reste chez les Ork... "

Le demi se mit en place, également, et rendit le regard de son adversaire.

Il serra bien fort la main tendue, cala son coude, et banda ses muscles, prêt à relâcher sa force pour enfoncer la main de l'autre dans la table...Si possible, bien sûr.

Le demi-orque eu un sourire roublard.

"Ouais..."

Il empoigna la main de Rudash et la lutte commença impitoyablement.

Jet de force : 12+3=15 contre DD 17

Le type n'était pas exeptionellement grand ou large, mais il fallait avouer qu'il était drôlement costaud! Alors que Rudash perdait doucement du terrain, le docker décida de donner brusquement tout ce qu'il avait. Le poignet du barbare heurta violament le bois, comme si la douleur du muscle chauffé à blanc n'était pas suffisante.

Le demi-orque poussa un grand cri et se leva sous les acclamations de ses camarades. Se retournant, il abatti une main sur le petit tas de pièces.

"Rakram gagne une fois de plus! Alors, qui est le plus fort?"

Rudash grogna, en se massant le poignet. Mais il n'adopta pas la posture de soumission habituelle chez les demi-orcs.

Oui, il était battu, mais il ne considèrait pas ça comme une vrai défaîte.

D'abord, ça n'était pas un duel aux armes ! Alors il ne se soumettrait pas à Rakram. Et puis...Il avait des excuses. Il avait bien livré un bras de fer avant...Ca lui suffisait, dans son for intérieur de demeuré.

" Ouais. T'es plus fort qu'tu sembles, Rakram. Dis, Rudash cherche du boulot, d'quoi s'occuper à Cal...Calim...Ca-Lim-Port. T'connaître où y'a du boulot ? Ici, sur les quais ? "

Jolies phrases, Rudash était content d'avoir réussi à les formuler à peu près correctement. A peu près, c'était déjà excellent pour lui.

Il se campa, attendant de voir ce que Rakram dirait.

Rakram le toisa avec mépris.

"Dit donc, tu crâne un peu beaucoup toi. Tu veux prendre une autre défaite? Et puis pour bosser sur les quais faut être plus costaud que ça, hé hé hé..."

Les autres reprirent la blague en ricanant. Malgrès son cerveau fatigué, Rudash compris que Rakram était un peu le chef de la tribu ici. Il avait intérêt à filer doux, chez les orques on ne défie le boss du clan impunément...

Rudash grogna dans sa barbe, produisant un bruit sourd et assez incompréhensible.

" Grrrm...Pas assez costaud, quand tu veux j'te pète ta tronche pour te l'montrer que j'suis costaud...Grrrm... "

Mais il se renfrogna. Il savait qu'il ne faudrait pas défier cet autre demi, qui, non content d'être plus fort que lui sur ce coup-là, était aussi - semble-t-il - le chef de la bande. Autrement dit, celui qui lui trouverait un bon boulot. Bref, il fallait oublier l'envie furieuse de prendre sa hache et de mettre un coup de cette arme précieuse dans la tronche de l'autre.

" D'accord, d'accord. Rudash reconnaît qu'tu l'as battu. Mais s'tu veux, Rudash peut t'montrer comment qu'il est infatigab' et très fort pour la tâche quand même ! Rudash, y'rechigne pô au boulot ! "

Ce qui n'était que pure vérité, cela dit. Tant que ça lui fournissait de quoi vivre et se loger, Rudash était partant pour n'importe quel boulot ( hormis ceux qui seraient trop dégradants, même s'il n'avait pas vraiment une idée fixe de ce qui était dégradant...disons que tout ce qui ne lui plairait vraiment pas était dégradant ).

Rakram tendit l'oreille, l'air mauvais.

"Qu'est-ce tu dit? Ouais, fait gaffe, je suis pas le dernier à coller des patates aux pénibles..."

Il croisa les bras, avec un air de défi.

"On a rien pour toi ici. Mais si t'es aussi costaud que tu le dit, va voir La Souche, à la taverne de l'Ancre Solide. Il recrute des gars pour les tournois clandestin."

La Souche... voilà un surnom qui fleure bon le milieu criminel. La perspective de gagner des sous en tapant sur les autres était assez intéressante, encore fallait-il voir le niveau des autres candidats.