Un réveil douloureux

La question qui lui vint alors à l’esprit fut évidemment : mais qui peut bien être cet étrange personnage ? Encore une qui ne connaissait pas de réponse, l’elfe devrait sans aucun doute en faire collection. En effet, il avait la fâcheuse habitude de se poser un grand nombre d’interrogations, sans pouvoir même imaginer une réponse. Encore que dans ce cas présent, c’était différent. Il pouvait effectivement supposer vaguement la nature de l’être présent, quoique cela dépassait grandement ce qu’il avait pu voir jusqu’à présent. S’il s’était caché ainsi, c’était sûrement pour une bonne raison, mais laquelle ? Encore une question sans réponse, ou dans tout les cas « censée »…

Mais là n’était pas le moment d’assouvir sa vive curiosité. En effet, il était perdu et il fallait se pencher sur le problème, relativement grave tout de même. Soudain, il eut alors une idée ! Idée qui pourrait en même temps répondre à ses interrogations à l’écart de l’homme étrange et en même temps résoudre son soucis.

Il s’approcha alors de l’être encapuchonné et lui demanda du ton le plus amical et poli possible :
« Bien le bonjour messire. Il inclina la tête respectueusement en signe de salut. Flatter les gens qu’il rencontrait faisait parti d’une de ses manières car il pensait ainsi obtenir plus facilement l’information désirée. Puis-je me permettre de vous demander le chemin qui mène à la rue marchande ? Il se doutait bien du manque de précision de sa question car il pensait tout de même qu’une ville comme Port Ponant pouvait aisément organiser deux marchés. Il se trouve que je me suis perdu dans ce dédale de rues. Il est dur en effet pour un voyageur comme moi de s’y retrouver dans une ville aussi grande que celle-ci… »

Il fallait désormais attendre la réaction de son interlocuteur en espérant l’absence d’hostilité dans sa futur réponse. En effet, cet étranger pouvait réagir de diverses manières, aussi bien comme l’avait fait le drow ou alors aussi gentiment qu’un moineau…

Le petit "homme", qui n'arrivait pas tout à fait à la moitié d'Elgoan, leva lentement la tête. Un foulard noir passait devant le bas de son visage, pas étonnant qu'il soit si dur que ça à discerner. Dans l'ombre de son capuchon seuls ses yeux étaient visibles : Jaunes. Voilà qui était des plus surprenant... Mais l'étrange individu ne semblait pas esquisser un geste agressifs pour l'instant.

"Toi aussi tu es perdu dans cette maudite ville ? Il n'y a vraiment que les humains pour concevoir un dédal pareil !"

Sa voix était assez aigue et crillarde, avec des oscillations stridentes ou très graves. Autant dire qu'elle n'était pas commune, en fait, elle était difficilement interpretable. Sa façon de dire "humain" montrait clairement qu'il ne devait pas l'être lui même. Il secoua un peu la tête, puis son regard troublant revint sur Elgoan. L'individu lui adressa la parole, mais cette fois-ci en elfique !

"Que fais une race aussi fière et hautaine dans les sales rues de cette ville? J'ai raremenent vu des elfes aussi polis avec moi, j'ai presque cru que tu n'étais qu'un sang mêlé."

Elgoan, surpris et perturbé par l’étrangeté de ce personnage, lui répondit également en elfique. Cet être, quel qu’il soit, l’avait froissé en osant le comparer à demi elfe :
« Et bien non, je ne suis pas un sang mêlé, et c’en est beaucoup mieux ainsi ! Il est bien la première fois que j’ouïe un reproche sur ma politesse ! Ne vous paraît-il pas plus judicieux de ne point entrer en contact avec une personne inconnue, qui plus est mystérieuse, sur l’offensive ? Cela évite une confrontation qui peut s’avérer dangereuse et permet d’obtenir plus aisément ce que l’on veut. D’autant plus qu’il n’est pas fort sage de se mettre à dos une personne ayant la capacité de vous aider…

Quoiqu’il en soit, nous sommes tout les deux dans le même cas. De plus, mes affaires ne vous regardent pas, comme les votres ne me concernent pas. Mais je ne peux cacher ma curiosité à votre propos. Je pourrai en effet retourner votre question dans l’autre sens. Que fait un être aussi, comment dire… à la nature aussi original et mystérieuse que la votre dans une ville de marchands aussi grande que celle ci ? A mon propos, je ne puis vous dire uniquement que je suis à la recherche d’un être particulièrement désagréable à ma vue dans ces murs… »

La discussion qu’il entretenait avec ce petit homme l’étonnait grandement. Il se voyait désormais se dévoiler à un étranger aussi particulier perdu également dans la cité marchande. De par la taille de son interlocuteur, il ne devait sans doute pas se sentir en danger mais le caractère mystérieux de cet être était à prendre en considération. En effet, ce bâton pouvait toujours faire penser qu’il pouvait être magicien…

La petite silhouette bomba le torse, redressant sa faible stature. Ses yeux semblaient plus qu'amusés par la réaction d'Elgoan. Si son visage n'était pas caché on aurait vu qu'il souriait de toutes ses dents. Il ricanna. Un rire des plus énervant, il n'était pas meprisant mais simplement énervant sur sa simple sonorité, le genre de rire qui faisait rapidement monter la honte aux joues. L'individu battit l'air de sa main libre, d'un geste désinvolte. D'un ton sarcastique il continua en elfique :

"Excusez moi mon "altesse serenissime, haute et puissante, ma grâce supérieure, messire elfe"."

Il pouffa de sa moquerie, ses yeux malicieux roulèrent dans leurs orbites à un grand éclat de rire. Puis il reprit en toussant encore un peu :

"Hélas vous n'êtes pas un demi-sang... Peut-être auriez vous ainsi perdu un peu de votre arrogance. Mon insulte tenait plus d'un compliment pour moi, mais les elfes sont parfois si étriqués ! Toujours même... Tiens voyez vous même, un avis sur votre race :

"Ce matin même j'arrivai enfin en ville, fatigué par un long voyage. Je traversai une rue un peu similaire à celle-ci, sauf que trois elfes, dorés, m'arrivaient de face. Leurs visages altiers ne m'accordèrent pas un regard, et sans ménagements ils me bousculèrent. Sans une excuses ils s'éloignèrent, alors je jurai. L'un deux se retourna et me lança : "Je t'ais entendu, nabot, serais-tu aussi moche qu'un nain pour te cacher ainsi ?". Il cracha à mes pieds. Je leur ais alors infligé une correction. Et lorsque le dernier tombait à terre, que je le surplombais de ma hauteur je lui envoyai à la face : "Je ne vais pas généraliser en disant que tous les elfes sont stupides, mais vous vous être à leur hauteur.".

Je ne sais même pas si il a comprit !"

Puis l'individu éclata de nouveau de rire.

Elgoan émit alors le même rire moqueur. On pouvait même dire qu’il venait littéralement d’exploser de rire. En effet, la manière dont l’être racontait son histoire était hilarante, même si la fin était très provocatrice pour un elfe de sa race. Mais la façon dont ses frères raciaux s’étaient moqués de son interlocuteur était très humoristique, et reflétait les premières pensées d’Elgoan. Il était vrai par contre qu’il leur avait très correctement renvoyé la monnaie de leur pièce… Voilà un personnage des plus intéressants, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Il me plait bien, se dit-il… Se calmant peu à peu, il s’adressa de nouveau au petit être qui se tenait fièrement devant lui :

« Vous me faites bien rire avec vos histoires, messire. Votre façon de vous défendre face à l’adversité est exemplaire et honorable, croyez-moi. Je ne regrette aucunement de vous avoir adressé la parole car de plus vous avez réussi à égayer ma triste journée. Soit, je vois que les elfes, surtout ceux de ma race, ne se situent guère très haut dans votre estime, mais votre caractère et votre singularité me plaisent.

En outre, puis-je savoir d’où vous venez ainsi ? On pourrait toujours marcher un peu ensemble, afin que nous puissions tout deux partager nos histoires et notre vision du monde… Bien entendu, vous pouvez également refuser, ce qui me mettrai dans l’embarras et me fera ravaler ma fierté, chose que vous appréciez apparemment… Mais je me risque tout de même, car vous me paraissez un personnage intéressant… »

Il prenait des risques en lui proposant une telle chose. Il était si facile pour son interlocuteur de se moquer de lui comme il venait de le faire avec ces trois elfes dorés, et Elgoan ne le supporterait pas, c’était certain…

L'individu sembla écouter distrètement Elgoan, comme il le faisait depuis le début de la conversation d'ailleurs. Pourtant il enregistrait au mot près chaque parole de l'elfe. De toute façon il était clair que le bonhomme, aussi petit soit-il, était hors du commun. Il ricanna de nouveau à la proposition d'Elgoan, allait-il refuser ? C'était difficile à dire...

"Oui casse toi ça vaut mieux pour toi !"

La il éclata littéralement de rire face à la mine déconfite de l'elfe. Une mine outrée qui allait sûrement passer à la colère. Ce qui fit encore plus rire l'inconnu, qui frappa le sol avec le bas de son batôn tant il était mort de rire, comment quelqu'un pouvait-il autant rire ? Mais l'elfe n'eut pas le temps d'hurler de rage que l'individu leva une main devant lui en signe d'arrêt.

"Je rigole bien sûr..."

Il s'avança au niveau d'Elgoan, et le deux marchèrent dans les rues étrangement désertes. Avec un ton un peu plus sérieux que d'habitude, l'inconnu déclara lentement :

"Je viens... de loin. Dans le Nord, très loin dans le Nord, le Val de Bise. Je ne sais pas si les elfes, aussi dorés et "cultivés" soient-ils, connaissent cet endroit. Les montagnes froides et la neige glaciale. Ici il fait presque trop chaud pour moi..."

Puis il ajouta avec un intonnation plus rigolarde :

"En fait le problème c'est qu'il y'a bien trop d'elfes par ici !"

Se doutant que cela ne plairait pas outre mesure à son compagnon, même si il avait l'air de s'en moquer, il changea de sujet.

"Dites moi, elfe, votre nom est ?"

« Mon nom ? Et bien soit, si nous devons en arriver là. Il se trouve que je me nomme Elgoan, fils d’Elendhil, et comme vous l’avez si bien remarqué, je ne connais pas ces fameuses terres nordiques enneigées. En effet, je viens d’Eternelle-rencontre, et suis retourné sur le continent il y a peu, pour affaire personnelle. De ce fait, il se trouve que je ne connais que trop peu de choses sur le continent et ses peuples, à part ce que l’on m’a enseigné durant ma longue vie. En outre, je suis arrivé la veille à Port Ponant, et mon ignorance sur l’organisation des rues de la cité m’a ammené à me perdre ici-bas.

Maintenant je retourne la question. Comment vous nomme-t-on ? Et puis pourquoi donc êtes-vous descendu autant au sud si vous ne vous y sentez pas bien ? »

Le petit individu sembla hésiter un instant, même si cela n'était visible cela se sentait. Mais il devait fournir une réponse. Il soupira, frottant ses deux mains gantées l'une contre l'autre, puis déclara d'un ton sourd, presque un murmure :

"Hé bien appelez moi Maître et je crois que cela sera parfait !"

Il laissa volontairement un silence s'installer puis il éclata de nouveau de rire, visiblement il aimait bien l'humour, de tout bord. Retrouvant un peu de sérieux il lança :

"On m'appelle Garskin. Je sais ce n'est guère commun, mais disons que c'est à la mode dans le Nord."

Il inspira, pensant à la seconde question d'Elgoan. Devait-il faire part de ses motivations ? A un elfe en plus ? Peut-être, mais pas tout de suite... Valait mieux en apprendre un peu plus avant.

"Je n'aime pas le Sud c'est un fait, mais je n'ais plus rien dans le Nord, et au moins ici ça change du blizard... Et puis autant voir du pays avant de terminer sa vie dans ce monde, non ?"

« Insinuez-vous donc que vous êtes d’or et déjà à un âge avancé et que vous approchez de la fin de votre vie ? »
Décidément, cet être hors du commun était plein de mystères, et il ne voulait apparemment pas trop en dévoiler. En effet, ces réponses n’étaient guère consistantes et Elgoan n’avait toujours pas appris grand chose de son interlocuteur. Mis à part qu’il voyageait dans un pays qu’il n’aimait pas de plus en compagnie d’une race qu’il n’appréciait guère mieux… Soit, de tout manière, l’elfe d’or n’avait lui non plus dévoilé beaucoup de choses à son sujet.

« Et bien, il est vrai que je suis revenu sur le continent également en quête de voyages, afin de me cultiver d’avantage et d’apprendre beaucoup sur Faerûn et sur ses peuplades. Une très longue vie m’attend, alors autant la remplir le plus possible afin de quitter ce monde sans regrets… Mais il est vrai également que mon départ de mon île natal peut s’expliquer par ailleurs par une autre raison. En effet plus rien ne m’attachait là bas où plutôt quelque chose m’a attiré ici… Mais là n’est pas le sujet. Dites en plus sur vous… Pourquoi n’avez vous plus rien dans le Nord ? N’ayez pas peur de parler, je n’ai aucun lien dans cette ville et y connaît aucune relation. A part vous, désormais… »

L'individu ricanna de nouveau à la dernière phrase d'Elgoan, battant l'air de sa main libre et secouant légèrement la tête. Il se tourna d'un quart vers l'elfe, l'air vraiment amusé.

"Peur de parler ? Vous savez je n'ais plus peur de rien après ce que j'ai vu, j'ai vu bien plus que tous ce que vous pourriez esperer rêver jeune elfe. Ce qui est vraiment amusant, c'est que je ne pourrais jamais atteindre votre âge, mais pourtant vous êtes bien parti pour mourir avant moi. Vous dites que vous êtes venu pour une affaire "personnelle" ? Je sens que vous courez après une chimères. Elles sont dangereuses, et peuvent facilement vous emporter plus loin que vous ne le souhaiteriez, de l'autre côté par exemple."

La parole d'un sage. Ce genre de choses vaut de l'or, mais qu'en est-il en pratique ? Mais l'air de rien il avait aussi détourné la question, d'une manière habile mais qui méritait aussi son pesant de cacahuètes. Il s'arrêta, faisant face à l'elfe.

"Allons mon "petit" je pense que vous devriez faire bien attention, il y'a pas mal de dangers dans cette ville, comme dans tout les endroits qui regorgent d'humains."